Alexandrine

http://www.sgdl-auteurs.org/alexandrine-civard-racinais

Je fus, et reste une grande lectrice, avant même de me consacrer à l'écriture sous des formes variées (journalisme et édition).

Dans ma maison, en Aquitaine, les livres sont partout… Ils font partie non pas des meubles mais des amis qui la peuplent.

Si j'étais un livre, je serai "Le tour du malheur" de Joseph Kessel, "Cent ans de solitude" du grand Gabriel Garcia Marquez ou encore "Water Music" de T. C. Boyle…

Conseillé par
9 octobre 2013

Ils se sont tant aimés

Ils se sont aimés, perdus de vue 25 ans durant, retrouvés…les voilà maintenant qui se disent tout. Leurs tourments, leurs amants. Leurs erreurs et leur candeur. Leur vie d'avant. En dépit d'un prénom inspiré — en hongrois Milena signifie "celle qui aime" ou "celle qui est aimée" — Miléna se révèle très cérébrale et fort indécise. Louis, "anthropologue de l'amour" manifeste une tendance assez universitaire et pour tout dire relativement agaçante à passer au scanner le moindre de ses émoi. L'un et l'autre paraissent empêtrés dans leurs contradictions, incapables de se laisser aller à leur véritable inclinaison.


"Pourquoi les êtres humains sont-ils si seuls ? murmura Milena sur un ton qui n'attendait pas de réponse. Que nous est-il arrivé ?" (page 194).
"Retour à la case départ… dit Louis. Et si nous avions été plus intelligents que les autres. Et si nous ne nous étions jamais quittés ? Nous vivrions ensemble aujourd'hui… Nous aurions deux enfants" (page 227)
Miléna se blottit contre lui et l'embrassa avec ardeur. Tout cela avait-il un sens? se disait-elle en s'abandonnant. Peut-on réécrire le passé ?" (page 227).

Cette énième variation sur un thème universel — l'amour peut-il résister au temps ? Peut-on retrouver l'innocence perdue ? — manque au final singulièrement de chair. On retiendra quelques jolies digressions sur le milieu littéraire et la vacuité de certains de ses acteurs. Mais le pas de deux de Miléna et Louis a parfois du mal à raviver le désir du lecteur.

18,00
Conseillé par
2 septembre 2013

Atomes crochus

Quel lien existe-t-il entre un vieil homme hagard abandonné dans une enseigne de restauration rapide des Champs-Elysées et Pipriat, ville fantôme à 3 km de la centrale nucléaire de Tchernobyl ? Et que signifie le mot Samosiol tatoué sur son bras ? Réponse au fil des pages, peuplées de figures attachantes. Mention spéciale à Pipriat - ses autos-tamponneuses désertées par les rires des enfants, son ciné-théâtre Prometheus - qui devient, sous la plume de Javier Sebastian, l'un des personnages principaux de ce roman glaçant, librement inspiré de la vie de Vassili Nesterenko.

Vassili... Vassia - physicien de l'atome en rupture de ban - devenu chef du Gorkom de Pipriat et de son improbable communauté humaine dont les membres luttent, chacun à sa manière, contre l'adversité et la peur de la mort. "Regarde les, Evgueni, tu peux les toucher de la main. Moi je les touche, regarde comme je les touche. Samosiol, d'accord mais pour moi ils valent plus que l'or. Ils savent tous qu'ils doivent partir. Sinon ils vont mourir. Et pourtant ils sont là. Ils résistent encore" (page 204)

Déjà primé en Espagne et traduit en plusieurs langues, "le cycliste de Tchernoby"l est l'une des belles découvertes de cette rentrée littéraire. Un roman superbe et dérangeant à lire avant que le ciel ne nous tombe sur la terre.

Conseillé par
28 août 2013

Du grand Cotzee

"Une enfance de Jésus" marquera sans doute la littérature du XXIè siècle comme l'"Emile" de Jean-Jacques Rousseau a marqué le XVIIIè siècle. Notre Emile moderne s'appelle David. Un prénom attribué à son arrivée au camp de Belstar. Du haut de ses 5 ans, David se pose beaucoup de questions.
- "Pourquoi sommes nous ici?" demande-t-il à Simon, son protecteur.
- "Nous sommes ici pour la même raison que tous les autres. On nous a donné une chance de vivre et nous avons accepté cette chance. C'est formidable de vivre. C'est ce qu'il y a de mieux au monde"

- "Mais est-ce qu'on est obligés de vivre ici ?"
- "Ici plutôt que où ? Il n'y a nulle part d'autre." (page 32).

Pour sa part, Simon a plus de raisons que tous les autres d'être ici. Il s'est donné pour mission de trouver une mère pour l'enfant — sur le bateau qui les emmenait vers un monde meilleur, David a perdu une lettre expliquant sa filiation. Ce sera Inès, élue entre toutes les femmes. Comment l'a-t-il choisie, Simon ne se l'explique pas : "Je suis arrivé dans ce pays démuni de tout, hormis une conviction inébranlable : je reconnaîtrais la mère de l'enfant dès que je la verrais. Et dès l'instant ou j'ai posé les yeux sur Inès j'ai su que c'était elle." (page 119).
Une autre mission attend Simon : celle d'éduquer David, assoiffé de réponses mais réfractaire à une scolarité "normale". S'ensuivent de réjouissantes digressions sur l'ordre et le chaos, le rôle du langage, la nature duale de l'être humain, le devenir d'une crotte ou la réalité des nombres. Pour David, "c'est comme si les nombres étaient des îles flottantes sur une mer de néant (…) et comme si, chaque fois, on lui demandait de fermer les yeux et de sauter dans le vide. Et si je tombe? Voilà ce qu'il se demande. Et si je tombe et continue à tomber pour toujours" (page 337). Sentiment d'insécurité diagnostiquent avec suffisance les experts. Un argument qui ne convainc pas Simon. "Et si nous avions tord et si c'était lui qui a raison. S'il n'y avait pas de pont entre 1 et 2, rien qu'un espace vide ? Et si nous, qui faisons le pas avec tant de confiance, étions en fait en train de tomber dans l'espace, sauf que nous ne le savons pas parce que nous tenons à garder notre bandeau sur les yeux ? Et si ce garçon était le seul d'entre nous avec des yeux pour voir ?" (page 337).

"Une enfance de Jésus" tient à la fois du récit initiatique et du conte philosophique. Un roman d'une grande fraîcheur et d'une grande profondeur. Du grand Cotzee.

Conseillé par
28 août 2013

Du racisme ordinaire dans l'Amérique d'hier à aujourd'hui

2 août 2010. Quelque part au Nord de la Louisiane. La rivière rouge sommeille. Paisible comme peut l'être un crocodile avant l'attaque. Dans quelques minutes, elle va ravir la vie de six enfants. Six jeunes noirs qui ne savaient pas nager, incapacité héritée de l'histoire de leurs parents. Cette bataille perdue d'avance des faibles contre les forts, des noirs contre les blancs, dans l'Amérique d'hier et d'aujourd'hui pétrie de rancœurs et de haines recuites."C'est comme un vieux nœud (…). Ce vieux nœud autour de nous, en nous, dans notre gorge, notre ventre, ce vieux nœud indémêlable qui nous retient et nous condamne à d'autres nœuds"(page 16). Le racisme des uns et la peur des autres, indécrottable, indépassable. Et ce chiffre : 60 % des enfants afro-américains ne savent pas nager. Et ce drame : six adolescents, morts noyés, chacun voulant sauver l'autre.

Toi non plus "tu ne savais pas nager Howard et quand tu es ressorti de la piscine, tu avais un trou dans la cuisse, les tympans crevés et deux côtes cassées (…) Au siècle d'après, il y a toujours une ambulance à la sortie de l'eau" (pages 146-147) et une grand-mère éplorée. "Mon nom c'est Mary Lee, j'ai 74 ans (…) je suis quelque part entre les morts et les vivants, au Purgatoire déjà, je ne pensais pas que c'était comme ça. Peut-être que ce pays est un vaste Purgatoire" (page 17).

Un roman âpre et dense qui questionne la société américaine contemporaine et ne laissera pas le lecteur indifférent.

Éditions de L'Olivier

19,30
Conseillé par
24 juillet 2013

Plume légère

D'une plume légère, Véronique Ovaldé brosse à petits traits des vies apparemment anodines. A première vue, Vida Izzara a tout pour être heureuse… Tout sauf l'amour de Gustavo, son époux et un peu d'estime pour elle-même. Flic iconoclaste, l'inspecteur Taïbo ne s'est jamais relevé du départ de sa femme, dix ans auparavant. Leur rencontre ouvre une brèche dans l'âme de la première et referme la plaie au coeur du second. Partie à la recherche de sa fille - Paloma - et de l'amant de celle-ci, Vida va retrouver une liberté de pensée et d'agir confisquée pendant des années par Gustavo. "Les fenêtres de leur maison ne s'ouvrent pas. C'est une chose qui rendait folle Paloma. Gustavo a fait installer la climatisation dans toutes les pièces, même dans le placard à chaussures. Alors il a décrété qu'ouvrir les fenêtres était inutile" (page 18). Qu'importe, c'est finalement par la porte que Vida, comme Paloma avant elle, s'envolera vers sa nouvelle existence. Il aura suffit d'un souffle sur les braises encore chaudes, d'une étincelle, pour que les liens entre les différents personnages se tissent ou se dénouent peu à peu. Chacun, par la grâce d'un nouvel amour, sera amené à se débarrasser du joug des conventions sociales, matrimoniales ou familiales. Mi conte de fée pour adultes mi roman, le dernier ouvrage de Véronique Ovaldé - primée à plusieurs reprises pour le précédent, Ce que je sais de Vera Candida (2009) - est aussi inclassable que ses personnages. Et ses Vies d'oiseaux ont la grâce fragile d'un ballet aérien. "Il n'y a donc jamais d'autre solution que de partir" se demande Paloma (page 204). Non, lui répond sa mère en écho car la liberté se conquiert à ce prix.