Alexandrine

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Je fus, et reste une grande lectrice, avant même de me consacrer à l'écriture sous des formes variées (journalisme et édition).

Dans ma maison, en Aquitaine, les livres sont partout… Ils font partie non pas des meubles mais des amis qui la peuplent.

Si j'étais un livre, je serai "Le tour du malheur" de Joseph Kessel, "Cent ans de solitude" du grand Gabriel Garcia Marquez ou encore "Water Music" de T. C. Boyle…

Anne-Marie Métailié

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28 août 2012

Les tribulations d’une « yougo » en Suisse - Jeudi 16 août 2012

Titre peu engageant — Pigeon, vole —, auteur inconnu au bataillon… mais éditeur apprécié. Encore une fois, le pari est gagné. Le seul reproche que j’adresserai à cet opus, publié dans la bibliothèque allemande de Métailié, réside dans sa mise en page, un peu trop dense à mon goût. Le reste — ton, style et langues —est en revanche d’une grande fluidité. J’emploie à dessein le pluriel pour évoquer la langue dans laquelle s’exprime l’auteur car Nadj Abondji née en 1968 en Serbie passe aisément du hongrois de son enfance au suisse-allemand de sa région d’adoption : Zurich.

Et cela se sent jusque dans la traduction… Serbie, Suisse : deux patries, deux langues, deux libertés… comme l’héroïne de son roman : Ildiko qui grandit d’abord en Voïvodine (alors yougoslave, aujourd’hui serbe), avant de rejoindre ses parents en Suisse. Miklos le père et Rozsa la mère, soucieux de réussir leur intégration. Surtout ne pas se faire remarquer « « et arrivera le jour où ils ne feront plus attention à nous, nous serons comme de l’air pour eux, c’est la meilleure solution » (p. 115) ; travailler encore et toujours ; trimer sans relâche pour offrir à leurs deux filles — Ildiko et Nomi, sa cadette — un avenir meilleur. Ildiko et Nomi ont six ans lorsqu’elles quittent leur pays natal, le généreux giron de leur grand-mère Mamika, leurs oncles et tantes aux tempéraments bien trempés et Juli la voisine égarée dans son monde. Les années passent et les souvenirs remontent à la surface. La belle Mercedes des parents embourbée sur une route défoncée de Voïvodine ; le coup au feu au Mondial, le restaurant familial ou les deux sœurs travaillent, les échos de « la guerre des Balkans » à la télévision et la peur qui peu à peu gagne du terrain. Peur de perdre un être cher, impuissance face à l’escalade de la violence et à l’absurdité de la situation… Lorsque les deux sœurs ont laissé derrière elles leur village natal « cela ne signifiait alors pour moi rien de particulier que le nom de notre petite ville soit écrit par trois fois, en serbo-croate, en caractères cyrilliques et en hongrois » : Zenta, Cehta ou encore Senta. Quelques années plus tard, cette inscription prendra une tout autre signification. Et la vie de la famille en sera ébranlée. Point de misérabilisme pour autant, le ton reste enjoué — « Nos clients, s’agit-il de Suisses allemands ou d’Allemands suisses » (p. 120), l’écriture enlevée. Pigeon vole est un hymne à la vie, celle que l’on se choisit et non celle que l’on subit. Un hommage à ceux qui sont partis, mais dont le souvenir accompagne les vivants. En 2010, Melinda Nadj Abonji a reçu le Prix allemand du livre pour ce son livre. On ne serait pas étonné de le retrouver en course pour un prix littéraire. Et à dire vrai, c’est le contraire qui serait décevant.

Anne-Marie Métailié

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28 août 2012

Capitaine courageuse - Mercredi 1er août 2012 à 23h23

Impersonnel, le titre de cet ouvrage claque comme drapeau au vent. Plus que le titre ou le nom de l’auteur, qui m’était jusqu’alors inconnu, j’ai choisi de faire confiance à la maison d’édition — Métailié — dont la bibliothèque latino-américaine ne m’a jamais déçue. Un pari réussi.

À partir des carnets de sa compatriote Mika, Micaela Feldman de Etchebéhère, l’écrivaine argentine Elsa Osorio a mené pendant presque 25 ans une (en)quête exigeante pour remonter la piste de son héroïne et combler les lacunes de sa biographie, assemblant patiemment les pièces du puzzle jusqu’à ce que le visage de celle-ci surgisse du passé.

Car la vie de Mika, antifasciste convaincue, se confond avec le début du XXè siècle. Ce n’est pas un hasard si on la retrouve dans le Berlin des années 30 confronté à la montée du nazisme ou à Madrid peu de temps avant le coup d’état militaire de juillet 1936. Mika veut être là ou l’histoire convulse, là ou les idées de justice, d’égalité et de liberté prennent corps. Dans des circonstances tragiques où se mêle lutte idéologique et combat contre la maladie qui ronge son mari — « Hipo » l’amour de sa vie — Mika se retrouve à la tête d’une milice du POUM, le Parti Ouvrier d’Unification Marxiste.

Elle qui ne sait rien des armes ni des techniques de guérilla, cette femme, cette étrangère, va devenir, par son charisme, son courage et son altruisme, « la Capitana ». Une capitaine courageuse, respectée de tous. Un « sacré mec », dira d’elle l’un de ses miliciens. « Ce que les miliciens ne sont peut-être pas capables de penser, c’est que justement parce qu’elle est une femme, elle ne commande pas comme un homme, arme à la main, autoritaire. (…) Elle, non seulement ils lui obéissent mais ils l’aiment, conclut-elle, et cela lui fait plaisir, qu’importe si pour se justifier ils doivent dire que Mika est un sacré mec ou qu’elle a des couilles » (p. 238).

« Anarchiste, communiste, trotskyste, opposante de gauche au stalinisme, membre du groupe Que faire ?, du POUM ? Toutes ces classifications, et aucune en définitive, pourraient aller à Mika », écrit Elsa Osorio dans sa postface (p. 325). Celles-là et bien d’autres comme femme amoureuse, femme libre, femme de conviction, femme de tête, une « sacrée femme », sortie de l’oubli par la force des mots.

roman

JC Lattès

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27 mars 2012

Des îles et des hommes

Ne pas se fier au titre. On s'imaginait déjà sur le pont d'une goélette, négligemment poussée par des alizés complices, partageant avec l'auteur un moment léger comme la caresse d'une aile d'oiseau. Las, les îles dont nous entretient Philippe Lançon ne sont pas ces morceaux de terre éparpillés sur les flots mais des âmes esseulées, insatisfaites, errantes. C'est l'histoire de gens qui vivent à Hong-Kong, à Paris, à Cuba, en Inde. Les personnages de cette histoire sont seuls et voyagent parce qu'ils sont seuls. Ce sont des îles.

Comme toutes les îles, celles-ci portent des noms exotiques. Il y a Jad, excentrique avocate originaire de Hong-kong et sa copine Jun. Jad et Jun voyagent ensemble ou plutôt voguent côte à côte. On les suit à Cuba, mais bientôt leurs routes vont diverger. "Voyager créait des noeuds marins, solides et faciles à dénouer" (p. 22). Les liens de jadis sont désunis. Jad reste, Jun repart. Jad sombre dans la folie, Jun jette l'éponge comme d'autres jettent l'ancre.

Entre ces deux rives, le narrateur dresse une passerelle, tente de renouer le fil de cette amitié fracassée. On sent bien que Philippe Lançon navigue parfois à vue, livrant sans fards ses propres états d'âmes et errements, mais l'ensemble sonne juste. Il faut juste trouver son rythme de croisière, accepter quelques moments de flottements. Au fil du récit, des îles nouvelles émergent : Maryline, la flamboyante cubaine, ex-femme de Philippe ; l'écrivain Ernest Hemingway, un vieux cubain nommé Rimbaud…

Le philosophe Alain affirmait : "Il faut voyager pour apprendre à être heureux chez soi". "Avions nous voyagé pour apprendre à être heureux chez nous ? Ou parce que nous n'étions pas heureux chez nous ? Ou parce que "chez nous" n'existe pas, n'existe plus ?", s'interroge Philippe Lançon (p. 437). Aucun des personnages croisés au fil de ce voyage ne possède la réponse parce que les îles conservent toujours une part de mystère.

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4 mars 2012

D'ombre et de lumière

Un jour de pluie à Santiago du Chili, trois anciens révolutionnaires rangés des grenades et des coups de main devisent en attendant leur chef. Mais "le Spécialiste" ne viendra pas. Il vient de mourir sur le coup, tué par un tourne-disque balancé d'un balcon au cours d'une dispute conjugale entre Concepcion Garcia et son mari Pedrito. Une mort absurde pour ce vieux briscard, rescapé des geoles sordides dans lesquelles tant de jeunes idéalistes ont laissé leur jeunesse et pour certains la vie.

En attendant leur mentor, Lucho Arancibia, Lolo Garmendia et Cacho Salinas boivent, s'envoient des vannes et dévident leurs souvenirs de guerres perdues. Ces trois pieds-nickelés se racontent et se souviennent. "Quand es-tu rentré d'exil" demande Arancibia à Salinas sur le ton de celui qui demanderait d'un ton badin "Quelle cuisson pour ta viande"? Car "on ne revient pas de l'exil, toute tentative est un leurre, le désir absurde de vivre dans le pays gardé dans sa mémoire, nous rappelle Luis Sépulveda. Tout est beau au pays de la mémoire, il n'y a pas de dommages au pays de la mémoire, pas de tremblements de terre et même la pluie est agréable, au pays de la mémoire. C'est le pays de Peter Pan, le pays de la mémoire" (p. 35).

Avec pudeur et drôlerie, l'auteur du Vieux qui lisait des romans d'amour se confronte une fois de plus aux horreurs du passé. "Je suis l'ombre de ce que nous avons été et nous existerons aussi longtemps qu'il y aura de la lumière" avait murmuré "le Spécialiste" en quittant son domicile pour se rendre à son rendez-vous. Ces hommes et ces femmes existeront aussi longtemps qu'il y aura de la lumière, des copains et du vin. Rouge comme le sang versé, "vigoureux, fort, âpre et rapeux" comme l'existence, fluide comme l'étoffe dont sont tissés les rêves des révolutionnaires. Aussi longtemps que les écrivains revisiteront avec brio le pays de Peter Pan, le pays de la mémoire.

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2 janvier 2012

Un perdant magnifique

L'homme à la carabine n'est pas celui que l'on croit. André Soudy est "l'homme aux semelles de guigne" et aux poches percées. "Il est Bécamelle, l'innocent du monde", au coeur d'artichaut. Un gamin traîne misère dans le Paris d'un siècle finissant, le corps perclus de douleur à force de dormir sur des sacs à patate, le ventre vide et la révolte en bandoulière. Longtemps son seul fait de gloire fut d'être "estampillé par la faculté" : "André Soudy, bacillaire". Il est ce tuberculeux dont la vie bientôt ne tient plus qu'à un souffle. Cette vie il veut la brûler par les deux bouts, mais le bonheur toujours se refuse à lui.

Sa route croise celle de Jules Bonnot et de sa bande dont il devient membre et cette rencontre va sceller son destin. Prison de la Santé, 1913. Les survivants de la bande à Bonnot attendent leur jugement. Certains partiront pour le bagne, d'autres auront la tête tranchée…"je ne suis pas né homme à la carabine, moi. Le déterminisme vous lui avez filé un sacré coup de pouce" (p. 140), dira André Soudy.

Par petites touches, Patrick Pécherot brosse l'esquisse d'un perdant magnifique dans le Paris de la fin du XIXè siècle, le Paris des inégalités sociales et des bidonvilles, des enfants transis aux yeux cernés, des bicoques sombres et sans chaleur. Les ombres de Colette, Georges Brassens, Boris Vian ou encore Léo Ferret vacillent parfois. À travers ce roman-colage, Patrick Pecherot nous balade. La construction, assez atypique, est parfois difficile à suivre (retours en arrière, arrêts sur image, relation des faits par André Soudy et narration parallèle) mais le portrait qu'il nous tend est saisissant et l'ambiance de l'époque fort bien reconstituée. On se prend de sympathie pour cet homme traqué qui finira par rendre les armes "de guerre lasse". "On m'a dit l'homme à la carabine. C'est drôle à quoi on résume l'individu. L'homme à la carabine. Peut-être, dans un sens et à ce moment là. Mais si on veut aller plus loin, je serais tout autant l'homme aux semelles de guigne. (…) Semelles de guigne, coeur d'artichaut (…). Jamais eu de pot. "Ci-gît André Soudy qui réussit à tout rater", ce serait valable en épitaphe sur ma pierre tombale" (p. 160). On referme ce livre le coeur serré.