Jean-Bernard Q.

L'Indomptable

Lindsay Armstrong

Flammarion

26,00
Conseillé par
21 novembre 2014

Belle recherche très érudite

Journaliste à ses débuts à l’Agence Europe et puis longtemps porte-parole de la Commission européenne à Paris avant de présider à Bruxelles à la création du serveur internet Europa de la même Commission, Lindsay Armstrong s’est attaqué dans un livre publié chez Flammarion le 5 novembre 2014 à un monstre sacré de l’histoire de l’Europe, Charles Quint.
Cet ancien fonctionnaire européen n’est pas le seul à s’être frotté à ce grand personnage. D’autres avant lui, tel Fernand Braudel, grand historien français, l’espagnol Salvador de Madariaga, Benedetto Croce et le Belge Charles de Coster, pour n’en citer que quelques-uns, avaient écrit à son propos.


Cet ouvrage de 570 pages se lit comme un roman, avec une facilité déconcertante. Rédigé dans un style fluide et soigné, cet ouvrage, jamais ennuyeux, truffé
de descriptions de la vie de tous les jours, s’appuie sur une documentation fouillée. On croirait revivre ces moments délicats de l’histoire de l’Europe où Charles Quint déployait des efforts titanesques, tout en luttant seul contre l’expansion de l’empire ottoman jusqu’aux murailles de Vienne, et ce au péril de sa santé. D’autre part, il voulait éviter que l’Europe ne subisse la fracture, encore sensible aujourd’hui, entre un Nord protestant et un Sud catholique. Il perdit cette bataille autant en raison de l’intransigeance de Martin Luther et de l’arrogance démesurée des papes de la Renaissance que du provincialisme des princes de l’Allemagne de son temps et de la politique somme toute vaine et incohérente du roi de France, François 1er. Ce dernier aurait-il accepté la main tendue que lui offrit à plusieurs reprises Charles Quint au lieu de lui mener quatre guerres ruineuses pour l’un comme pour l’autre ? Car alors l’histoire de l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural, de la mer baltique à la mer méditerranéenne, aurait à coup sûr pris un chemin différent. Vaincu en définitive par une coalition trop puissante d’ennemis de tous bords, Charles Quint mérite notre respect et le titre d’Indomptable que lui attribue à juste titre l’auteur.
Au fil des pages, l’on croise tour à tour six papes, deux rois de France, Henri VIII, Mary Tudor, mais aussi Erasme, Titien mais aussi Magellan, Hernan Cortés, Francisco Pizarro et Barberousse. « Le personnage me fascine…C’est l’anti-Machiavel…
C’est une figure magnifique », s’exclama le grand historien français Fernand Braudel. «Un abîme le sépare de son fils, car Philippe II est déjà Espagnol,
comme Henry VII est déjà Anglais et François 1er déjà Français» jugeait l’espagnol Salvador de Madariaga pour qui « Charles Quint est encore et déjà Européen». Si les éloges à l’égard du seul grand chef quel’Europe ait connu depuis Charlemagne et à ses qualités humaines (visionnaire, énergique, brave, stratège hors pair, grand connaisseur des hommes, réservé et pourtant « plein de bonté et d’indulgence pour ceux qui l’approchaient » pour le dire avec le peintre Eugène Delacroix), les dénigrements font également foison. En Italie, qui fut sous domination espagnole depuis 1530 jusqu’à ce qu’elle tombe sous domination autrichienne, il a fallu attendre Benedetto Croce pour que la légende noire contée par les historiens nationalistes soit démythifiée, notamment pour la période de Charles Quint. De même, le belge Charles de Coster, faisant dans sa Légende d’Ulenspiegel un trop rapide amalgame entre Charles Quint et Philippe II (« Charles empereur et Philippe roi chevauchèrent par la vie, faisant le mal par batailles, exactions et autres crimes »), a immortalisé dans notre mémoire collective l’image d’un roi ladre, méchant, hypocrite et rusé, un goinfre passionné d ’anchois et de bière, image qu’on retrouve encore aujourd’hui dans nombre de livres d’historiens de tous pays et que sa ville natale semble vouloir perpétuer en ne lui consacrant pas le moindre nom de place ou de rue mais un seul monument, cadeau de la ville espagnole de Valence !
Lindsay Armstrong dresse un portrait saisissant de l’homme Charles Quint. Curieux et vif, tour à tour drôle ou piquant, fin gourmet et amateur d’art, mélancolique aussi, sa Personnalité domine toutes celles de ses contemporains et offre un modèle de chef d’Etat, qui revit ici dans toute sa noblesse d’âme et de comportement.