Les visiteurs d'Outre-Tombe
EAN13
9782700231489
ISBN
978-2-7002-3148-9
Éditeur
Rageot
Date de publication
Collection
Heure noire
Nombre de pages
218
Dimensions
20 x 14 cm
Poids
260 g
Langue
français
Code dewey
804
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Les visiteurs d'Outre-Tombe

De

Rageot

Heure noire

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Sommaire

1

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978-2-700-23148-9

ISSN 1766-3016

© RAGEOT-ÉDITEUR – PARIS, 1994-2009.

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays. Loi n°-49-956 du 16-07-1949 sur les publications destinées à la jeunesse.

Du même auteur, dans la même collection :

Avant qu'il soit trop tard
Un tueur à la fenêtre

Pour Carole,
encore et toujours.e9782700231489_i0002.jpg

1

– Alors Carole, on sèche ?

La jeune fille sursauta. La voix semblait provenir d'un bouquet de tombes sur sa droite. Un petit chat tigré fila devant elle. Entre le tronc d'un marronnier et la paroi grêlée d'une chapelle, il s'arrêta net et lissa consciencieusement sa moustache.

– C'est vous madame Bouloche ?

– Et qui veux-tu que ce soit, reprit la voix aigrelette, un maréchal d'Empire ?

Un coup d'œil par en dessous et le chat impatient détala : un éclair de poils avalé par le feuillage.

Carole quitta l'avenue Latérale du Sud dont elle venait à peine de gravir le dernier groupe de marches. Trois mètres plus loin, assise simplement sur une pierre basse à l'écart du chemin, Mme Bouloche l'accueillit avec un sourire.

Une légère brise peignait les cheveux qu'elle avait gris et clairsemés sur les tempes. Bien décidée à combattre cette lente désertification, elle s'obstinait, pour qu'il ne la rattrape pas, à chasser le naturel au galop. Ça ne poussait plus ? Soit !... Elle tirait des mèches du dessus pour les rabattre sur les côtés, en priant le ciel pour que le vent ne soit pas trop violent : la méthode dite « oreilles de Pluto ». Ce jour-là, du vent, il y en avait, assez pour défaire cet ouvrage instable. Deux épis rebelles se dressaient, comme si elle avait fait sécher ses cheveux sous un casque de Viking.

Elle exhibait sa traditionnelle robe à fleurs. Mme Bouloche ne changeait jamais de robe, elle changeait de fleurs. Aujourd'hui, marguerites sur fond bleu. Avec les baskets montantes dont elle ne se séparait que pour dormir, son style était assez particulier. Coquette drôlement plutôt que drôlement coquette.

Autour d'elle miaulait une meute de chats qui se frottaient sur ses mollets, avides de câlins. Le plus gros d'entre eux lui jetait un regard subtil qui mélangeait séduction et reproches. Manifestement, on réclamait qu'elle accélère un tantinet la cadence.

– Regarde-moi ces hypocrites ! dit-elle. Ho ! les minous, du calme ! Signoret, doucement !... Chopin ! Vas-tu arrêter d'embêter Géricault à la fin !

Mme Bouloche était dame-chats. C'est ainsi qu'on appelle au Père-Lachaise les femmes qui nourrissent les nombreux chats errants. D'autres portaient comme elle ce titre, mais de celles que Carole connaissait, ne serait-ce que de vue, Mme Bouloche était de loin et depuis des années sa préférée. Une spécialiste ès potins ! À l'entendre, ce lieu où elle passait ses journées délimitait son domaine réservé. Il en découlait qu'elle considérait les visiteurs occasionnels comme de vulgaires intrus et tous les animaux sur lesquels elle veillait comme ses propres enfants.

Elle avait d'ailleurs élaboré une technique très personnelle pour les baptiser : dès qu'elle tombait sur un chat inconnu, elle lui donnait sur-le-champ le nom inscrit sur la tombe la plus proche. Issus des Arts, des Sciences, des Lettres et de la Politique, les plus illustres défunts se battaient pour honorer ses assiettes de viande.

Cette bergère d'un genre nouveau veillait sur un troupeau conséquent dont le noyau dur comptait environ une trentaine de félidés de races et de pelages variés. Un cheptel dont le nombre grossissait avec régularité, selon la fréquence des fugues ou des abandons. Malgré leur nombre élevé, jamais elle ne les confondait ; Mme Bouloche avait la mémoire des museaux.

– Et Proust ? Où est Proust ? Oh non, ça ne va pas recommencer !

– Quoi donc ?

Le visage de la vieille dame s'était subitement assombri.

– Je ne sais pas, je ne pourrais pas te dire, mais en ce moment, il se passe des choses bizarres par ici. Je le sens. Ne serait-ce qu'avec mes chéris... Proust n'est pas là. C'est le quatrième à me faire des infidélités, en trois mois. Tu te rends compte ? Et puis, il y a aussi... Bah !

– Qu'est-ce que vous appelez des infidélités ?

– À vrai dire, ils ont disparu. Un jour, pareil que Proust, ils ont raté la soupe. Et je ne les ai pas revus. Pfuit ! Envolés !

– Et s'ils avaient tout bêtement changé de gamelle ?

Mme Bouloche la regarda comme si elle s'était mise à parler en tchérémisse ou en ouzbek.

– Tu veux dire qu'ils seraient allés dans les jupes de la Pierretaille ou de Suzon ? Mais tu divagues complètement ma petite fille ! Ils y gagneraient quoi, à part des convulsions ? T'as vu ce qu'elles leur refilent ? Ceux qu'ont goûté rien qu'une fois à mes banquets n'iraient certainement pas se foutre en l'air l'estomac avec leurs décoctions pour restoroute ! Des bouts de gras de jambon, des fonds de casseroles de nouilles, des croquettes discount, c'est ça le menu chez elles, et pas autre chose ! Moi, je reçois les raffinés, les aristocrates du palais. Y a que des produits frais chez maman Bouloche. Chérubini ! Petite saleté, veux-tu... Mais c'est qu'il me boufferait tout, le sagouin !

Occupée à distribuer la nourriture, Mme Bouloche semblait avoir momentanément oublié ses soucis. Carole la regarda s'agiter, avec des bouffées de tendresse. Elle adorait asticoter sa vieille amie. Rien de plus facile d'ailleurs, il suffisait de la lancer sur les autres dames-chats et d'attendre la mitraille.

Réunies par le même respectable motif, elles se livraient pourtant entre elles une féroce guerre d'influence dont les animaux tiraient les meilleurs bénéfices puisqu'elles amélioraient l'ordinaire rien que pour damer le pion à leurs rivales. Régnant chacune sur un domaine aux frontières instables, elles s'autorisaient fréquemment des incursions discrètes en pays ennemi.

Le territoire de Mme Bouloche, par exemple, se limitait en théorie au quart sud-est du cimetière, mais il n'était pas rare de la voir mener des expéditions de recrutement sauvage avenue de la Chapelle ou dans les parages du columbarium. En général, elle n'en revenait pas bredouille ; une boulette de viande équivalait à une carte d'adhésion.

– Bon, madame Bouloche, je vous laisse. Il faut que j'y aille.

– Tu ne m'as même pas dit ce que tu fabriquais par ici, à cette heure. Remarque, je ne suis pas ta mèr... Oh ! excuse-moi.

– C'est pas grave. Le prof d'anglais était absent ce matin, alors je commence à dix heures.

– Ah ! ceux-là, j'te jure, comme s'ils n'avaient déjà pas assez de vacances !

– Vous savez, c'est la première fois.

– Sûrement pas la dernière. Tiens, regarde-moi ça ! C'est le printemps qui nous amène ces beaux spécimens...

Carole se retourna. Trois hommes progressaient entre les tombes au cœur de la 12e division. Celui qui menait la marche pouvait avoir une trentaine d'années. Grand, élégant dans son polo gris et son costume noir, ses cheveux longs étaient réunis sur la nuque par un simple élastique. Ses yeux surtout étaient extraordinaires, d'un bleu très clair, presque translucide. Une de ses jambes était raide, il boitait légèrement.

Les deux autres ne lui ressemblaient pas, et ne se ressemblaient pas non plus. Laurel et Hardy. Le premier, le maigrichon, avait les joues qui se touchaient à l'intérieur de la bouche. L'air de terminer un marathon. Le second arborait une paire de moustaches fines, avec l'allure d'un picador qui aurait avalé son cheval.

Tous deux avaient des tenues passe-partout, blousons beiges et jeans fatigués.

– Eh bien quoi ? fit Carole en les voyant s'éloigner.

– Ça fait plusieurs fois que je les vois rôder, ces trois-là. Je ne pourrais pas t'expliquer mais ils me font froid dans le dos. Pourtant, les zozos, c'est pas ça qui manque ! Ce doit être à cause d'en ce moment.

– Vos chats ?

– Pas seulement.

– Vous devenez sacrément méfiante en vieillissant. À tous les coups ce sont des fans des Doors qui viennent voir la tombe de Jim Morrison.

Mme Bouloche lui jeta un regard en coin, pas convaincue.

– De vieux fans alors. Allez ! On caus...
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