Yv

http://lyvres.over-blog.com/

Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

Conseillé par
1 septembre 2017

Comme vous pouvez le constater, la couverture -Higland light, de Edward Hopper- est magnifique. Il en ressort une beauté évidente, une douceur en même temps qu'une certaine solitude, une belle lumière dans un paysage assez aride. Un résumé du roman.
C'est une très belle histoire que nous raconte Catherine Baldisserri dans son premier roman. Une histoire avec ses moments de joie mais aussi de chaos, de folie, des moments de furie intense (la pêche au loup de mer), des doutes, de reconstruction... Tout y est pour passer un excellent moment. Teresa est une femme forte, un personnage hors norme parce que les événements l'amèneront à se battre et à s'imposer. Elle rencontrera d'autres personnages forts, qui la marqueront et qu'elle marquera, pour qui elle restera celle qui leur a permis de s'ouvrir au savoir, à la culture. Car le roman parle de cela : l'enseignement, la transmission du savoir et l'usage que chacun fait de ce qu'il apprend.

C'est aussi une histoire d'amours -le pluriel, c'est normal et justifié- joliment racontée, dans une belle langue simple et fluide. Des dialogues, mais point trop, la part belle est faite aux personnages, à leurs tourments, aventures et questionnements. Et puis l'Uruguay, pays dont on parle assez peu dans les romans qui est un formidable contexte géographique et historique, puisque Catherine Baldisserri a la bonne idée de placer son roman en pleine révolution des Tupamaros, ces militants d'extrême gauche qui prônaient l'action directe.

Un beau et bon roman qui instruit, de beaux personnages, un pays à découvrir, tout est là pour vous faire aimer La voix de Cabo qui débute ainsi :

"Quand Machado mit pied à terre après une chevauchée de plusieurs jours à travers les forêts d'ombús, les palmeraies puis les hautes dunes blanches qui se dérobaient sous la force harassante du vent de l'Atlantique, il fut accueilli par une gifle magistrale. Elle était plus cinglante que les vents qu'il avait endurés durant son expédition. Plus cuisante aussi. Teresa, dans la fulgurance de son geste, avait libéré toute la rancœur accumulée depuis son départ." (p.5)

Conseillé par
1 septembre 2017

Débuter un roman de Jean-Marie Blas de Roblès, c'est partir un peu à l'aventure, dans l'une de celles que l'on n'oubliera pas. Après son roman très vernien L'ïle du Point Nemo, cette fois-ci, direction l'Algérie. Manuel Cortès, espagnol naturalisé français en est le héros, l'un de ceux qui marquent une époque par ses engagements. Et à travers lui, c'est le roman de ce pays que l'on lit, au moins depuis la colonisation française. L'auteur s'attarde sur le rôle de Manuel pendant la seconde guerre mondiale pour montrer combien les pieds-noirs et les Algériens ont combattu pour la liberté. Une autre grande partie est bien sûr la guerre d'indépendance et les massacres de part et d'autre : "Mon père a assisté aux massacres de Sétif, il n'a rien fait, rien dit, rien ressenti, et je ne parviens ni à l'excuser ni à l'en blâmer. Il n'est pas si facile de percevoir ce que l'on voit ; il faut beaucoup d'efforts, de concentration sur l'instant présent, sur ce qu'il offre à notre regard, pour ne pas limiter ses yeux à leur simple fonction de chambre noire." (p.241). Il montre bien la volonté des Algériens de retrouver leur liberté et le déchirement des pieds-noirs de quitter leur terre natale, celle où ils ont tout construit, et tous ne furent pas des colons richissimes qui s'enrichirent sur le dos des Algériens. La vraie question remonte aux origines, qui a bien pu avoir cette idée de conquérir ce pays et pour quelles raisons ? Question qu'aborde le romancier qui se fait à travers ce livre, historie, essayiste, ...

Enfin, c'est aussi le roman d'un homme vu par les yeux de son fils. Un vieil homme désormais qui a vécu fortement sa vie parce que les événements l'y ont contraint. Qui a combattu, aimé, beaucoup perdu et a reconstruit, qui aurait pu faire de cette citation de Marc Aurèle que cite son fils sa devise : "Vivez une bonne vie. S'il y a des dieux et qu'ils sont justes, alors ils ne se soucieront pas de savoir à quel point vous avez été dévots, mais ils vous jugeront sur la base des vertus par lesquelles vous avez vécu. S'il y a des dieux mais qu'ils sont injustes, alors vous ne devriez pas les vénérer. S'il n'y a pas de dieux, alors vous ne serez pas là, mais vous aurez vécu une vie noble qui continuera d'exister dans la mémoire de ceux que vous avez aimés. Je n'ai pas peur." (citée p. 248/249)

Encore une fois, c'est un grand roman que celui de JM Blas de Roblès, une part de l'histoire de la France et de l'Algérie, pas la plus simple et l'une des plus douloureuses qu'il est toujours délicat d'aborder encore de nos jours. Et lorsque comme lui, on a le talent et l'art de raconter des histoires fortes, eh bien, le lecteur n'a plus qu'à tourner les pages, pas trop vite pour ne rien perdre et pour profiter du temps passé en sa compagnie. Le romancier est né à Sidi-Bel-Abbès aux alentours de la date du fils de Manuel Cortès ; on est en droit de penser qu'il maîtrise son sujet pour lequel il a sans doute fait appel à ses souvenirs.

Christophe Lucquin éditeur

Conseillé par
1 septembre 2017

Loin d'être morbide ce livre est au contraire positif, même si l'on sent bien par moments le découragement de l'auteur, l'envie de baisser les bras, les angoisses, les cauchemars souvent liés à l'idée de la mort bien sûr mais surtout à la peur de ne pas voir grandir ses enfants et pour eux de ne pas grandir avec un père. Ne pas sentir ces interrogations, ces peurs serait faire l'impasse sur une grande partie de la vie d'Olivier Martinelli depuis l'annonce de sa maladie. Mais, ce qui ressort le plus de ses courts textes, c'est l'espoir et la volonté de vivre. Pas forcément pour réaliser de grandes choses, des exploits, mais vivre pour les siens, en profiter au maximum et s'appuyer sur eux pour reprendre des forces, même si face à la maladie et quand bien même on est très écouté, accompagné, on reste seul. Cette solitude, il ne l'élude pas, voulant en plus, sans rien cacher protéger ses proches et notamment ses enfants encore petits.

Les textes sont beaux et tristes mais aussi beaux et joyeux, parfois poétiques, jamais plombants. Olivier Martinelli écrit des pages bouleversantes, touchantes, pleines de vie. L'humour est là aussi qui fait passer bien des choses, même dans les moments durs, voire très durs : "Lorsqu'un médecin vous assure que ce qui vous attend est sans danger, ne soyez pas surpris si ça se termine par une flaque de sang dessinant une forme étrange dans un plateau en inox." (p.17) En étroite collaboration avec l'humour, il y a de la légèreté bienvenue dans un texte d'une telle force et de la poésie qui fait passer les moments difficiles : "Je n'y voyais pas à vingt mètres. J'ai enclenché les essuie-glaces. Je n'y voyais toujours rien. Il ne pleuvait que de mes yeux. Je les ai libérés de leur humidité d'un revers de la main. L'humidité est revenue aussitôt. Je les ai nettoyés une fois encore. Puis j'ai capitulé." (p.27). Olivier prend de la force partout, dans la main de sa fille, dans la compagnie de ses proches, dans ses projets d'écriture qu'il se presse de mener à bien, dans le sourire d'une infirmière, dans la douceur du regard ou de la voix des médecins et j'espère modestement dans ma chronique, sincère.

Christophe Lucquin dont vous savez sûrement mon attachement à sa maison d'édition, publie ici un texte inratable en cette rentrée littéraire et aussi plus tard, l'un de ceux qui remuent le lecteur, qui lui donnent de la force et une envie de profiter encore plus de chaque instant.

Cathy BORIE

Librinova

Conseillé par
1 septembre 2017

De Cathy Borie, j'ai déjà lu La nuit des éventails qui fut une belle découverte et surprise. La romancière revient avec un court roman d'à peine plus de 130 pages et publié par Librinova, une maison d'auto-édition, et qui a obtenu le Premier Prix Draftquest/Librinova 2017 (bon, je ne sais pas trop ce que c'est, mais que ce roman obtienne un prix, je le conçois et même l'encourage). Car, c'est un formidable roman qui, dès les premières pages m'a happé pour ne plus me lâcher. D'abord, Cathy Borie use d'une plume d'une élégance rare, classique, de belles phrases, longues parfois, avec des subordonnées, des imparfaits du subjonctif toujours à bon escient, la classe quoi ! Franchement, c'est un pur plaisir de lecteur que de parcourir ce texte copurchic (je viens de découvrir ce vieux néologisme tombé en désuétude qui, signifie d'une extrême élégance ; sans doute qualifie-t-il plus aisément une tenue vestimentaire mais, bon, juste pour le plaisir de l'écrire et le lire, je le maintiens).
Et puis, si le bonheur est déjà bien présent, il est renforcé par les très beaux portraits tant physiques que psychologiques des différents personnages.

"A vingt ans, Caroline pesait quarante-cinq kilos pour un mètre soixante-cinq. [...] Son corps ne lui servait que de véhicule, elle y transportait son intelligence, sa capacité de réflexion et d'analyse, son savoir, sa curiosité pour tout ce qui s'apprenait. Elle le nourrissait donc juste assez pour qu'il s'acquittât de cette tâche. De sa féminité, elle ne conservait qu'une apparence fragile, des formes plus asséchées que graciles, de longs cheveux châtains un peu ternes, et un regard immense qui laissait deviner des gouffres insondables. Entre vingt et vingt-cinq ans, elle obtint plusieurs diplômes, une licence d'histoire, une maîtrise de philosophie, une licence d'anglais, puis elle coucha avec David et elle fut enceinte." (p.54)

Chacun des protagonistes aura droit à quelques lignes pour le décrire et parler de son caractère. Une fois que les contours des uns et des autres sont dessinés, Cathy Borie s'attèle à une tâche ardue, les faire évoluer ensemble. Et là, la magie opère de nouveau. Elle traduit bien la relation à l'autre, la naissance du sentiment amoureux, parle admirablement des gens qui ne sont pas à l'aise en société, qui aiment la solitude et ne maîtrisent ni n'apprécient particulièrement faire le premier pas vers autrui -je m'y suis reconnu.

Cathy Borie évoque aussi très bien l'éveil à la sexualité, la construction et l'émergence de la personnalité ou comment un événement fait apparaître chez certains des traits jusque là enfouis, insoupçonnées au contraire d'autres qui se construisent linéairement, tranquillement. C'est fin et délicat, profond, dense. Pas un mot n'est superflu, dans 130 pages, il faut faire entrer tout cela, et l'auteure le fait fort bien.

Les livres auto-édités ne sont pas toujours de haut niveau -mais parfois ceux de certaines grandes maisons non plus-, mais là, franchement, je suis sous le charme de cette histoire, de ces personnages attachants et émouvants et de l'écriture gracieuse de Cathy Borie. Ce roman existe en version numérique, n'hésitez pas...

Conseillé par
1 septembre 2017

Partant de la page, puis augmentant de plus en plus son point de vue, du lit à la chambre, puis à l'appartement, à l'immeuble, la rue, le quartier, la ville, la campagne, le pays, l'Europe, le monde et l'espace, Georges Perec parle des espaces et de notre place à l'intérieur.
C'est brillant, comme à chaque fois avec Georges Perec, c'est parfois amusant ("Longtemps je me suis couché par écrit" attribué à Parcel Mroust, en ouverture de son chapitre : Le lit). Il joue avec les codes de la mise en pages, avec les citations, avec le mot "espace", enfin bref, tout en faisant un exercice stimulant et instructif, il joue et nous avec.
"Bref, les espaces se sont multipliés, morcelés et diversifiés. Il y en a aujourd'hui de toutes tailles et de toutes sortes, pour tous les usages et pour toutes les fonctions. Vivre, c'est passer d'un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner." (p.15/16)

Belle définition que j'aurais pu mettre en exergue de mon article, c'est la première que j'ai notée et retenue. Le reste, ce n'est que du plaisir. On repère les contraintes que l'auteur se donne pour écrire son œuvre, les envies d'écrire tel ou tel livre. Même lorsqu'il évoque des choses banales, de la vie courante, il est intéressant. Une série de verbes pour définir telle ou telle action ou des gestes du travailleur, des descriptions de scènes courantes qui paraissent simples mais à chaque fois, il y a la patte de Perec et là on se dit que la simplicité, en écriture, ce n'est pas le plus facile à faire. Qu'il y a des écrivains qui font ça bien et qu'il y a Perec.

J'ai découvert Perec avec Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?, j'ai continué, forcément, chaque année, je tente d'en lire au moins un de plus, entre ses romans, ses essais ou récits et ses inclassables comme Espèces d'espaces, ou ses conférences comme Ce qui stimule ma racontouze. Chaque fois, c'est un régal, pourquoi m'arrêterais-je ?