Des Hommes

Laurent Mauvignier

Les Éditions de Minuit

  • Conseillé par (Libraire)
    24 août 2009

    Ils n’ont jamais quitté leur village et partent vers un pays dont ils ne savent rien, pour une guerre qui ne les concerne pas. Ils sont jeunes, très jeunes, ne connaissent rien de la vie, et la convocation militaire vient briser leur peu d’espoir en l’avenir en les précipitant dans un monde de violence, de peur, de solitude. La mer, ils la voient pour la première fois à Marseille, et chacun d’eux sait, à peine embarqué sur le bateau pour l’Algérie, que « dès cet instant toute sa vie sera perforée de ce coup de sirène qui annonce le départ ».
    Au retour, c’est comme s’ils n’étaient jamais partis, personne ne leur demande rien, et ils savent que personne ne voudrait écouter ça. Il faut vivre, recommencer à travailler, essayer de ne pas réfléchir, de ne pas se souvenir.
    Mais quarante ans plus tard, un cadeau refusé et le drame qui en découle font brutalement resurgir des images terribles, imprimées à jamais dans leur mémoire, des fantômes dont ils s’étaient fait à eux-mêmes serment de ne jamais rien dire, des questions auxquelles ils ne peuvent répondre.
    « Moi, je me disais, je suis là, j’ai soixante-deux ans et dans ce salon, là, à presque quatre heures du matin, je regarde des photos et mes yeux, les larmes, la gorge nouée, je me retiens pour ne pas tomber, comme si les sourires et la jeunesse des gars sur les photos c’était comme des coups de poignards, va savoir, qui on a été, ce qu’on a fait, on ne sais pas, moi, je ne sais plus. »
    Laurent Mauvignier impressionne par son écriture tendue à l'extrême, tendue comme ces hommes, comme la violence, comme ce qui retient les mots à l'intérieur des têtes. Pas d'éclaircie, rien vers quoi se tourner pour mieux respirer. Une infinie tristesse devant ces vies gâchées, devant aussi ce qui aurait pu être, les amours, les espoirs, les rêves.
    Des hommes nous frappe avec la force d’un constat sans appel. Avec des mots simples, sans manichéisme ni lourdeur pédagogique, l’écrivain dit toute la complexité des êtres, la solitude, la parole impossible. Il fouille le cœur de ces hommes, pénètre dans leur cerveau et leurs cauchemars. Dans l’hiver glacial d’une campagne banale, quand le passé longtemps contenu envahit le présent, il nous fait vivre à leurs côtés l’attente, la chaleur, le silence des nuits, l’odeur de l’angoisse et de la mort. Aux côtés de plus d’un million d’appelés pris dans l’horreur d’une guerre sans nom.